Fromage de lait cru, thermisé ou pasteurisé. Quelle différence?
Bobby Grégoire
Co-initiateur de l'Atelier du Goût
Fromage de lait cru, en voie de disparition au Québec.
Tu as peut-être remarqué, mais on trouve de moins en moins de fromages de lait cru au Québec. En fait, depuis la crise de la listeria en 2008, finalement attribuée à un fromage pasteurisé et non de lait cru comme soutenu par les médias à l’époque. Depuis, plusieurs fromagers sont passés à une production thermisée, voire pasteurisée pour éviter de tout perdre face à la peur du public envers le lait cru!
Tu te souviens peut-être de cet épisode tragique pour nos fromagers où, non seulement la totalité de leur production fut anéantie par les inspecteurs du MAPAQ, mais ces derniers ont également détruit les tests et échantillons de nouveaux fromages en développement. Tous ont été javellisés à la grandeur de la province!
Bien que la réaction du MAPAQ fut reconnue disproportionnée par plusieurs organismes indépendants et un groupe d’enquête gouvernemental, il n’en demeure pas moins que les normes elles, celles qui permettent de produire du fromage au lait cru au Québec, ont grandement changées pour être de plus en plus restrictives.
Mais quand on pasteurise, ou on thermisé un fromage, on perd l’identité du lait, on perd le lien au territoire, le fromage ne peu plus être de terroir, car toute sa flore microbienne, tous ses ferments et ses caractéristiques qui le rendent si unique disparaissent, pour faire un produit qui n’est que l’ombre de son potentiel, un fromage à la personnalité beige, sans intérêt.
Oka, l’exemple parfait de ce que l’on perd à pasteuriser un fromage!
Tu veux un exemple? Si tu as connu le fromage Oka, du temps où il était fait de lait cru par les frères de l’Abbaye de la Trappe d’Oka, tu comprends ce que je veux dire. Je me souviens enfant d’un fromage savoureux, fort, qui dégage des arômes forts qui traversaient même les contenants hermétiques, que l’on sentait même au travers de la porte du frigo. Si tu as goûté ce fromage récemment, aussi bien dire qu’il ne goûte plus grand-chose et ses arômes sont littéralement absents du fromage aujourd’hui. Ce qui est arrivé, la fromagerie des moines fut vendue à une coop qui a tôt fait de pasteuriser le tout. Le fromage le plus connu du Québec est littéralement mort ce jour-là. L’Oka d’aujourd’hui, n’as de ce fromage mythique que le nom, mais rien d’autre et on doit ça à la pasteurisation et l’industrialisation de sa production.
Mais qu’est-ce qu’un fromage de lait cru?
Les fromages de lait cru sont fabriqués à partir de lait frais qui n’a subi aucun traitement thermique au-delà de 40 degrés Celsius. Le but? Préserver la flore bactérienne et les ferments naturels du lait. Le but ici, c’est de conserver les éléments qui confèrent son identité. Le lait cru est le seul moyen de garantir un lien au territoire dans le profil de goût, car il garde intactes les influences aromatiques des aliments consommés par les animaux en plus des propriétés transmises par la flore microbienne transmise présente sur les pies de l’animal.
Ces fromages, produits dans des conditions contrôlées, comme pour tous les autres d’ailleurs, permettent de contrôler les pathogènes et d’offrir aux mangeurs des produits à la complexité gustative imbattable et une unicité qu’on ne peut reproduire en laboratoire. En fait, les fromagers sont comme des musiciens qui tentent d’interpréter au mieux les notes que peuvent leur donner leurs instruments, le lait!
Qu’est-ce que la pasteurisation?
La pasteurisation, popularisée surtout au début du siècle dernier, est un processus de chauffage du lait autour de 72 degrés Celsius et de l’application de pression de plusieurs tonnes sur le lait pour en détruire la totalité des bactéries, les bonnes, tout comme les pathogènes qui se retrouvent dans le lait. La pasteurisation tue littéralement le lait qui est à la base un aliment vivant.
En chauffant le lait à de telles températures, on ne perd pas seulement les pathogènes, mais on détruit littéralement tous les ferments lactiques, ce qui rend impossible la fabrication du fromage sans ajouter des ferments artificiels, voir de la caséine dans certains cas.
Malgré la présence de quelques fromages pasteurisés au goût intéressant, si on compare à il y a 10 ans, l’impact sur le goût demeure manifeste. En fait les fromages pasteurisés se ressemblent tous plus ou moins et on un éventail d’arômes très restreint. En fait nous ne pouvons retrouver toute la complexité et la subtilité d’un profil organoleptique dans un fromage pasteurisé comme il est possible de le retrouver dans un fromage de lait cru. C’est comme retirer toutes les notes à un orchestre et les obliger à jouer une mélodie avec 2 ou 3 notes sur des instruments mal ajustés.
Et l’avantage de la thermisation?
La thermisation, c’est une sorte de compromis pour les producteurs qui demeure une zone grise dans la réglementation du MAPAQ. Il s’agit d’un traitement à la chaleur du lait pour éliminer la majorité des pathogènes potentiels, mais qui ne détruit pas entièrement la flore bactérienne originale ni les ferments lactiques naturellement présents dans le lait . Pour reprendre l’exemple de la gamme plus haut, c’est utiliser le dixième des notes disponibles à la base.
En clair, il s’agit d’un chauffage du lait entre 50 et 60 degrés Celsius, pour une durée d’environ 15 minutes ou plus et sans appliquer de pression sur le lait. Malheureusement, bien que la thermisation ne détruit pas toutes les propriétés du lait d’origine, cela le transforme suffisamment pour dire que nous perdons quand même le lien au territoire dans le goût et le profil du fromage produit au final.
De la peur du lait cru!
La thermisation est une « solution diachylon » que nous apposons sur une plaie. Le réel problème est issu de toutes les campagnes de peur et désinformation sous faux prétexte de normes d’hygiène que nous font vivre les industriels et les pouvoirs de l’État sur la dangerosité du lait cru, même dans un fromage. Les fromages de lait cru sont tout à fait sécuritaires et produits dans un environnement contrôlé et bien suivi.
Le lait cru comme tel n’est aucunement dangereux, pour autant qu’il fasse l’objet d’une production contrôlée et pour une consommation responsable et dans un court délai. La seule raison d’ailleurs pourquoi il est interdit d’acheter du lait cru, c’est principalement, car il n’est pas adapté à la grande distribution et aux industriels, mais même le lait de consommation cru est sécuritaire si transporté et traité de manière responsable. Après tout, il y a bien des machines de distribution de lait cru en vrac dans plusieurs villes européennes et le Canada, est le seul pays du G8 qui réglemente aussi sévèrement le lait cru de consommation et les fromages de lait cru.
Pour les fromages, tant que les artisans seront consciencieux, nous éviterons les dangers de contamination à la listeria monocytogène ou à l’Escherichia coli. Les industriels ne sont pas moins vulnérables aux contaminations, en fait les dernières contaminations de fromages à la Listeria selon santé canada furent dans une usine de fromages pasteurisés d’un industriel bien connu.
En conclusion
Je vous encourage à soutenir les producteurs de fromages de lait cru, à en consommer et aussi à vous informer au-delà des campagnes de peurs des industriels qui désirent dans le fond mettre la main sur un marché lucratif et réglementé que pour eux, étouffant les petits artisans.
En pasteurisant, tout fout le camp. C’est une perte pour nos palais, mais aussi c’est notre identité qui disparaît avec cette pasteurisation. Mais un grand nombre s’est tourné vers la thermisation du lait, une sorte de compromis entre le lait cru et la pasteurisation, un traitement qui ne détruit pas tout, mais ne permet pas l’expression du terroir pour autant.